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alexis feertchak - Page 2

  • Le saut vers la haute intensité...

    La revue Conflits, dirigée par Jean-Baptiste Noé, vient de sortir en kiosque son quatorzième numéro hors-série consacré aux réflexions actuelles concernant les doctrines d'engagement des principales forces armées terrestres.

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    ÉDITORIAL

    Armée de terre : la grande inconnue, par Jean-Baptiste Noé

    EMPLOI DES FORCES

    Entretien avec le général d'armée Pierre Schill, chef d'état-major de l'armée de terre

    Le nouveau concept d'emploi des forces de l'armée de terre, par Olivier Entraygues

    PARTIE 1 Stratégie

    Les transformations de la guerre depuis la fin du XVIIIe siècle, par Pierre Santoni

    Les dilemmes de Tsahal, par Maximes Pérez

    La nécessité stratégique de l'interarmées, par Jérôme Pellistrandi

    Guerre future : quelles organisations tactiques pour combattre dans la profondeur ? , par Pierre Santoni

    L'armée brésilienne dans la lutte contre la criminalité, par Mauricio França

    La stratégie de contre-insurrection initiée par le capitaine Galula en Kabylie, par Gregor Mathias

    PARTIE 2 FRANCE

    Robotique terrestre : une réalité sur les champs de bataille, par Meriadec Raffray

    Pour le Battle Lab Terre, le risque peut être une opportunité, par Meriadec Raffray

    Cette réforme qui remet à l'honneur les spécificités du chef militaire, par Meriadec Raffray

    OPEX : vers la fin d'un cycle ouvert en 1991, par Alexis Feertchak

    Les grandes batailles à venir de l'armée de terre, par Jérôme Rivière

    Etat de l'industrie française de l'armement, par Jean-Marc Tanguy

    Panorama du matériel de l'armée française, par Jean-Marc Tanguy

    PARTIE 3 MONDE

    La guerre du Haut-Karabagh : quels enseignements pour la France ? , par Alban Wilfert

    Une révolution militaire chez Sa gracieuse Majesté, par Raphaël Chauvancy

    « Autonomie stratégique européenne » , un slogan très abstrait , par Hadrien Desuin

    L'armée russe : la gardienne de la « forteresse Russie » , par Igor Delanoë

    L'Afghanistan, les relations transatlantiques et l'avenir de la puissance américaine, par Paul Coyer

    Turquie : vers l'armée nouvelle ? L'après 15 juillet 2016, par Tancrède Josseran

     

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  • Le recul de l’Occident, une si mauvaise nouvelle que cela ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alexis Feertchak, cueilli sur Geopragma et consacré au recul de l'Occident et à ses conséquences potentielles. Alexis Feertchak est journaliste au Figaro et membre fondateur de Geopragma.

     

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    Le recul de l’Occident, une si mauvaise nouvelle que cela ?

    Rien n’y fait, les Etats occidentaux ont beau savoir que la Chine se rapproche chaque jour qui passe de la place de première puissance mondiale – sur le plan économique, c’est en réalité déjà le cas en parité de pouvoir d’achat -, ils ont trop pris le pli de la puissance pour vraiment réaliser qu’ils devront, dans les années qui viennent, partager avec elle l’influence qu’ils exercent sur le cours du monde. Alors qu’ils semblent, y compris les Etats-Unis, douter en même temps d’eux-mêmes, leur puissance peut donc paraître des plus paradoxales.

    C’est que cette puissance de l’Occident a quelque chose de quasi-naturelle, relevant d’un autre ordre que celui des seuls classements macroéconomiques ou militaires. Elle est une force mystérieuse, sédimentée pendant des générations, qui offre des fondations discrètes mais solides que l’on pourrait ainsi résumer : la puissance occidentale est d’autant plus forte qu’elle avance de conserve avec le « bien ». Qu’entend-on par « bien » ? Ce qui serait naturellement bon pour le monde, au-delà et souvent contre la volonté des Etats souverains qui peuplent la planète : libre-échange, démocratie, état de droit, droits de l’homme, droits fondamentaux, droits subjectifs, pluralisme, liberté de la presse, d’opinion, tolérance, etc. sont quelques-uns des qualificatifs juridico-politiques de ce « bien ».

    La fin de la fin de l’histoire ?

    Même si le concept de « fin de l’histoire » a pris à partir du début des années 2000 un sérieux coup sur la tête quand on s’est rendu compte que les Etats-Unis – toute unique hyperpuissance qu’elle était – ne maîtrisaient pas tout, demeure pourtant au fond de nos inconscients collectifs l’idée d’une téléologie dont le terme serait ce « bien » et dont nous serions les gardiens pas forcément exclusifs mais privilégiés. Lors, si ce « bien » est le terme inéluctable et que, même s’il existe des soubresauts historiques, il est nécessairement inscrit dans notre avenir, cela signifie que, d’une façon ou d’une autre, la puissance restera du côté du bien et donc de l’Occident. Que la Chine puisse gagner à court terme nous paraît possible et même peut-être probable, mais qu’elle puisse gagner à long terme nous paraît encore farfelu.

    L’histoire semble d’ailleurs nous conforter dans cette idée. Par le passé, l’Allemagne nazie ou l’URSS ont pu donner l’impression d’ébranler profondément cette téléologie, mais sur des échelles de temps historiques finalement relativement courtes, de quelques années à quelques décennies. De la même façon, peut-être la Chine l’emportera-t-elle provisoirement, mais, le « bien » devant finalement l’emporter, elle finira par perdre ou s’y rallier. Et nous, Occidentaux, étant du bon côté de l’histoire, nous finirons par gagner, avec ou sans Pékin. De façon plus ou moins consciente, ce raisonnement renforcé paradoxalement par l’ombre portée de la Seconde Guerre mondiale et de la Guerre froide demeure la pierre angulaire de la confiance en soi, certes affaiblie, de l’Occident. La marche vers l’état de droit et la consécration des droits subjectifs des individus prendront certes du temps, seront même marquées par des échecs transitoires, mais ne pourront jamais être réellement dépassées en tant que telles. La Chine, en tant que régime totalitaire disposant encore d’un parti unique et méprisant l’individu comme valeur suprême, ne le sait pas encore, mais elle a déjà perdu, nous dit une petite voix au fond de nous.

    Plus de prudence, moins d’hubris

    Certains idéologues néoconservateurs ont poussé très loin ce fondement de la puissance occidentale en voulant – de bonne ou de mauvaise foi – accélérer la réalisation de ce destin de la démocratie libérale, quitte à plonger certains pays comme l’Irak, l’Afghanistan ou la Libye dans des guerres sans fin. Si encore cela fonctionnait à ce prix… mais cet interventionnisme ne fabrique aucun démocrate libéral et au contraire pléthore de djihadistes dont l’un des principaux carburants reste le ressentiment qu’ils nourrissent à l’endroit d’une puissance occidentale d’autant plus écrasante qu’elle se présente sous les atours du bien. Néanmoins, le néoconservatisme n’est que la face la plus visible (et néfaste) de la puissance occidentale. Dans des proportions bien moindres que chez les authentiques néoconservateurs, ne reste-t-il pas chez la grande majorité d’entre nous au moins une trace de cette idée que le modèle occidental, quels que soient les soubresauts historiques, est fondamentalement le moins mauvais de tous les modèles et celui qui finira inéluctablement par s’étendre au monde ? Ce modèle politique est bien sûr perfectible, mais le destin auquel il est associé sert d’horizon régulateur à l’Occident. Même quand tout semble aller à rebours de cette vision téléologique qui demeure la nôtre, reste la pensée qu’une ruse de l’histoire interviendra un jour pour en quelque sorte remettre « l’histoire dans le bon sens ».

    L’idée que nous aurions atteint « la fin de la fin de l’histoire » est excessive. Nous sommes plutôt comme les premières générations de chrétiens qui se rendent peu à peu compte que le Christ ne reviendra finalement pas de leur vivant… ce qui n’a pas empêché l’Eglise de prospérer, bien au contraire ! La chute de l’URSS était un moment, mais pas le dernier. L’histoire tragique est bien de retour, illustrée notamment par la réaffirmation de certains Etats-puissances ou le spectre de catastrophes globales (le Covid en étant un parfait exemple). Si elle supprime l’espérance d’une victoire à portée de main, cette histoire tragique n’emporte pas avec elle cet horizon régulateur qui demeure là, quoique cerné de brumes. Depuis au moins le 18e siècle, l’Occident s’est fondé sur le mythe d’un progrès qui ne serait pas seulement matériel mais également moral. Abandonner d’un coup d’un seul ce fil qui nous relie à l’avenir paraît aussi difficile que peu souhaitable. On est là face à un exemple typique de pharmakon, ce terme signifiant en grec « poison » autant que « remède ». Ce progrès qui est à la source de notre civilisation est en même temps notre plus grand danger puisqu’il nous expose à une hubris infinie. Colonialisme, totalitarisme et impérialisme en sont autant de manifestations.

    Le piège de Thucydide 

    A cet égard, l’affaiblissement relatif que connaît aujourd’hui l’Occident pourrait paradoxalement être une bonne nouvelle. Le décentrement du monde vers l’Asie ne détruit pas notre horizon régulateur mais nous empêche – par limitation physique et matérielle – de continuer à nous croire partout chez nous et à croire que la victoire est pour demain. Nous n’aurons plus d’autre choix que d’abandonner notre toute-puissance et de mieux mesurer chacun de nos gestes. Ce peut être une source de prudence, vertu dont l’histoire récente a révélé combien nous en avions manqué en Irak, en Syrie, en Afghanistan ou en Libye. Elle rappelle aussi la finitude tragique du politique : il y aura des drames face auxquels nos moyens manqueront certainement. Mais, au-delà de la satisfaction narcissique évidente que cette idée nous procure, est-il vraiment heureux que l’on appelle l’Occident à la rescousse dès qu’un problème se pose ? La réaffirmation d’autres puissances (Turquie, Russie, Iran, Egypte, Inde, Chine, etc.) dans certaines régions du monde induit certes des risques nouveaux qu’il ne faut pas sous-estimer (comme le retour des rivalités étatiques, y compris militaires), mais peut en même temps nous tenir éloignés du poison de la démesure.

    A la condition bien sûr que, dans les années qui viennent, les Etats-Unis comprennent qu’il est dans leur intérêt de ne pas refuser cette nouvelle réalité d’un monde dont toutes les puissances ne sont pas occidentales. Cela les oblige à accepter de recevoir une leçon de modestie, qui n’est pas une leçon d’impuissance mais la reconnaissance que toute puissance est par nature limitée. Si ce n’était pas le cas et qu’ils se refusaient à l’admettre, leur duel systémique avec la Chine ne pourrait finir que funestement, en suivant la voie du piège de Thucydide. A cet égard, les Etats européens ont un rôle essentiel à jouer puisque, tout en ayant encore un poids non négligeable dans les affaires du monde, ils réalisent depuis bien longtemps – sans toujours se l’avouer – que leur marge de manœuvre est structurellement limitée.

    Protéger ses abords

    La situation de l’Europe est donc symétrique de celle des Etats-Unis : las, les pays européens ont conscience qu’ils ne pèsent plus autant que naguère, mais se rassurent en se disant qu’ils ont au moins la conscience pure. Certes, en Syrie, nous ne comptons plus, mais nous avons choisi le camp des « gentils », se dit-on. La morale est ainsi le dernier restaillon de notre puissance passée. L’idée que nous devrions accueillir toute la misère du monde en est un autre exemple. Remarquer que les déshérités de la planète souhaitent encore rejoindre l’Europe offre inconsciemment une certaine satisfaction narcissique. A ce triste égard, ne resterions-nous pas un peu le centre du monde ? Cette voie européenne de la morale dans l’impuissance est dangereuse et sans issue. Elle ne permet en rien de faire contrepoids à la toute-puissance américaine d’autant plus inquiétante aujourd’hui qu’elle s’érode rapidement (et peut donc sur-réagir).

    Le maintien d’une puissance occidentale réelle mais contenue dans des limites que nous imposent déjà les nouveaux rapports de force internationaux est le chemin de crêtes qu’il nous reste à emprunter. Il est celui d’une réaffirmation occidentale assumée mais mesurée. Par son histoire ancienne et par son affaiblissement relatif, le continent européen est probablement le mieux placé pour favoriser un tel équilibre, notamment entre la Chine et les Etats-Unis. Et particulièrement la France, qui a su pendant la Guerre froide continuer d’affirmer une certaine grandeur malgré le duel russo-américain qui se jouait au-dessus d’elle. Si cela revient à reconnaître que l’on ne pourra plus se projeter politiquement, militairement ou économiquement n’importe où dans le monde avec la force et la plasticité dont nous croyions disposer dans les années 1990, il faudra aussi réaliser que, dans un monde qui nous échappe partiellement, davantage contrôler nos marches et nos abords immédiats sera une nécessité vitale. Plutôt que de vouloir exporter à tout prix vers le marché chinois nos richesses, ne faudrait-il pas commencer par substituer certaines de nos importations pour regagner en autonomie et commencer tout simplement par dresser la liste de ce que nous voulons construire directement chez nous ? Et ce même si cela affecte un certain luxe auquel nous nous sommes habitués comme l’on devient dépendant à une drogue (des biens économiques vendus anormalement peu chers, favorisant un pouvoir d’achat artificiel et érodant nos propres structures économiques) ?

    Endiguer la Chine ?

    De même, pour prendre un exemple militaire, il est très heureux de voir que la Marine nationale est encore capable de se projeter en mer de Chine méridionale, comme l’a montré récemment la patrouille d’un sous-marin nucléaire d’attaque ou le passage du porte-hélicoptères amphibie Tonnerre. Pour tout amoureux de la Royale, le spectacle de ces navires portant le pavillon français à 10.000 kilomètres de Toulon est un spectacle émouvant. Le symbole est également fort, les renseignements acquis précieux, l’exercice formateur pour les marins, mais cette projection politiquement mâtinée de « containment » à l’américaine traduit en même temps un certain irréalisme eu égard à ce que sont devenus les rapports de force dans la région.

    Pourra-t-on réellement endiguer Pékin, qui joue à domicile ? En passe d’être dotée d’une flotte de « classe mondiale » (formule employée par les Chinois eux-mêmes pour signifier qu’elle sera au moins équivalente à l’US Navy dans un avenir proche, probablement bien avant 2049, date du  centenaire de la RPC), la Chine déploie a contrario sa marine avec une certaine retenue, se focalisant d’abord sur ses abords immédiats et n’élargissant de façon que très progressive son périmètre d’action, notamment aujourd’hui vers l’océan Indien. Son approche n’est pas globale et tous azimuts, mais au contraire mesurée et limitée sur le plan géographique, ce qui crédibilise d’autant plus sa puissance réelle que sa force est en accord avec sa stratégie. Plutôt que de nous projeter vers la Chine au risque de voir notre discours affiché et notre force réelle se découpler rapidement, ne nous faut-il pas en priorité renforcer nos abords ? Protéger davantage nos territoires ultramarins, notamment dans la zone Indo-Pacifique où ils font l’objet de la convoitise des Chinois ? Renforcer notre présence en Méditerranée, mer à laquelle nous sommes le plus directement exposés, où les Etats riverains remontent rapidement en puissance sur le plan naval, encouragés par des enjeux économiques, énergétiques, politiques et migratoires colossaux ?

    La Chine nous force aujourd’hui à abandonner notre rêve de toute-puissance qui, confronté au réel, se muait rapidement en une impuissance désespérante. Dans ce nouveau monde, l’Occident est voué à reculer en termes relatifs, ce qui n’est pas forcément une mauvaise nouvelle. N’est-il pas plus sain que la puissance soit mieux répartie à la surface de la planète, que des puissances régionales jouent également un rôle dans la définition des équilibres régionaux ? L’on ne pourra plus dire que l’Occident dominateur est la source de tous les maux. Libérés de cette accusation, nous pourrons de façon beaucoup plus réaliste redessiner les contours de notre puissance, une puissance bornée, limitée, maîtrisée et, par-là, peut-être beaucoup plus crédible et forte. 

    Alexis Feertchak (Geopragma, 10 mai 2021)

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  • Retrouver l'alliance de la liberté et du pouvoir...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alexis Feertchak, cueilli sur Geopragma et consacré à une récente déclaration de la ministre de la défense, Florence Parly, à propos des relations que doit entretenir la France avec l'OTAN et l'Union européenne. Alexis Feertchak est journaliste au Figaro et membre fondateur de Geopragma.

     

     

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    La France, fille des États-Unis et de l’Europe

    On pourrait appeler ça un lapsus géopolitique. « Hésiter entre autonomie stratégique (européenne, NDLR) et alliance atlantique, c’est un peu comme demander à un enfant s’il préfère sa mère ou son père », a déclaré la ministre des Armées, Florence Parly, lors d’un long entretien avec la revue Le Grand Continent

    L’on comprend intuitivement ce que veut dire Madame Parly : dans l’esprit de ceux qui nous gouvernent, particulièrement depuis Nicolas Sarkozy, l’OTAN et la construction européenne sont deux processus qui auraient pour l’avenir force de destin. Il n’y aurait pas d’autre ligne d’horizon que cette double intégration de la France dans deux ensembles plus grands qu’elle mais qui, entre eux, ne seraient pas pour autant en concurrence. A l’Union européenne, l’édification des normes juridiques, politiques, économiques et sociales ; à l’OTAN l’expression de la puissance par le biais de l’outil militaire. Ce sont deux logiques impériales distinctes, mais compatibles l’une avec l’autre, dont les centres respectifs se situeraient respectivement à Bruxelles et à Washington. Nous sommes tellement habitués à cette subordination à deux têtes qu’elle nous apparaît des plus naturelles, même si elle est rarement formalisée comme telle. Attention, quand je parle d’empire, je ne pense pas à une hégémonie totale qui s’exercerait en tout lieu avec la même force. Un empire ne demande pas à chacun de ses membres – notamment aux plus éloignés – d’être des Romains à part entière. Qu’ils soient des Gallo-Romains suffit largement à la logique impériale. C’est un régime de semi-liberté au sens où, sur toutes les questions d’ordre secondaire, l’ancien barbare a la chance de pouvoir le rester un peu. Mais le centre de l’empire rayonnant, il perd un peu de sa barbarie par l’action de cette force d’attraction qui l’influence. Plus on se rapproche du centre, plus les Gallo-Romains sont romains et moins ils sont gaulois. Plus on se rapproche du centre, moins cette semi-liberté se manifeste, mais, en échange, plus le pouvoir au sein de l’empire est grand. Dans les marches de l’empire, où la force d’attraction est la plus faible, la liberté y est la plus grande, mais le pouvoir le plus faible. On y vit comme en Gaule, mais on n’y écrit pas l’histoire. Ce qui y manquera toujours, c’est l’alliance de la liberté et du pouvoir. On peut avoir plus de l’un et moins de l’autre, mais pas les deux. Ce qui manquera donc toujours, c’est la souveraineté politique, ligne rouge infranchissable de la logique impériale.

    Comme l’a bien montré Régis Debray, cette logique impériale est celle qui s’impose aujourd’hui dans l’ordre occidental. Que des vieux Etats souverains se réveillent aujourd’hui – Russie, Turquie, Iran, Inde, Chine – nous laissent aussi pantois que décontenancés. Mais comment peut-on ne pas vouloir de la douceur d’être gallo-romain ? Comment peut-on être seulement gaulois ?

    C’est bien là que ces quelques mots de Florence Parly, si clairement exprimés, nous sautent à la figure. « Hésiter entre autonomie stratégique (européenne, NDLR) et alliance atlantique, c’est un peu comme demander à un enfant s’il préfère sa mère ou son père. » Voici que la France millénaire, par un étonnant retournement chronologique, devient la fille de l’OTAN, née en 1949, et de l’Union européenne, née en 1958. Dit autrement, la France est la fille des Etats-Unis et de l’Europe. Va encore pour les Etats-Unis, cela peut se comprendre comme la simple traduction d’un rapport d’autorité entre deux autorités distinctes, l’une l’emportant sur l’autre. Mais quid de l’Europe ? La France et les autres pays européens (il faudrait quand même demander aux Allemands ce qu’ils en pensent…) seraient filles de l’Europe, qui, elle-même, a été engendrée par la France et ces autres pays européens ? Un psychanalyste se régalerait d’une telle filiation enchevêtrée.

    Si encore la France acceptait en conscience de n’être plus que la fille de l’Europe et des Etats-Unis, soit. Nous rentrerions sagement dans la logique impériale et profiterions ainsi de la douceur de vivre du barbare qui ne l’est plus complètement. Mais, en France, quelque chose résiste, dont Emmanuel Macron est lui-même la plus pure incarnation. Se vit-il comme le gouverneur d’une satrapie éloignée ou comme le président de la cinquième puissance mondiale ? Ai-je besoin de répondre ? A l’étranger, le président français fait doucement sourire avec son ego surdimensionné, sa prétention à régir le monde entier, à refonder l’Europe, à réinventer le capitalisme (Angela Merkel a bien ri en prenant la parole après lui lors du dernier sommet de Davos, il y a un mois environ) et à se ceindre (aucune petite gloire n’est à négliger) du titre de Haut-commissaire de France au Levant (eh oui, réglons le problème libanais puisque les Libanais eux-mêmes n’en sont pas capables). You’re so French, Hubert.

    Ce reliquat de puissance française, qui prête à sourire quand il n’exaspère pas, est la marque un brin pathétique de notre ambivalence : nous vivons selon la logique impériale, sans l’accepter pleinement. Reste alors le déni, les actes manqués et les lapsus pour faire remonter à la surface cette phrase du juriste Jean de Blanot (1230-1281) : « le Roi de France est empereur en son royaume ». Toute l’histoire de France a représenté un mouvement de résistance à la forme impériale, et en particulier l’édification de notre nation par un Etat souverain qui l’a précédée, de Philippe IV le Bel à Charles de Gaulle en passant par la Révolution française. Cette histoire séculaire ne sait aujourd’hui comment s’exprimer sinon par l’expression d’une grandeur un peu fantoche et par la présence réconfortante d’un président de la République qui – au-delà du cas extrême d’Emmanuel Macron – conserve l’apparence d’un monarque tout puissant. Notre droit conserve lui aussi une certaine force d’inertie. Si l’intégration du droit de l’Union européenne diffuse jusque dans les plus lointaines juridictions et administrations, notre Constitution, elle, demeure légèrement épargnée. Certes, diront les plus eurosceptiques, l’Union européenne fait depuis 1992 l’objet d’un passage entier, le titre XV, aujourd’hui intitulé « De l’Union européenne » et dont l’article 88-1 dispose que « la République participe aux Communautés européennes et à l’Union européenne, constituées d’États qui ont choisi librement, en vertu des Traités qui les ont instituées, d’exercer en commun certaines de leurs compétences ». Mais justement, l’on comprend à travers ces mots – n’en déplaise à Madame Parly – que c’est l’Europe qui est la fille de la France et des autres pays qui la constituent ! Quant à l’OTAN, on a beau chercher, mais on n’en trouve trace (en revanche, l’organisation nord-atlantique est inscrite dans les Traités européens). Lors, la France pourrait-elle être la fille de deux organisations dont notre Gründ Norm nous dit pour l’une, qu’elle en est la mère et pour l’autre, qu’elle n’existe pas ? Par ailleurs, bien avant le Titre XV, vient le Titre I intitulé… « De la souveraineté » où l’on peut lire en son article 3, que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice ». Ni aucune organisation ou Etat, a fortiori. Si la France peut bien sûr lier son destin à celui d’autres nations – et cela est même souhaitable, notamment avec pays les plus proches d’elle culturellement et historiquement, dont les Etats-Unis – elle ne pourra jamais le faire en tant que « fille », même avec le réconfort narcissique de se dire qu’elle est la « fille aînée ». Cela ne signifie pas que l’on doive sortir de l’OTAN ou de l’UE, seulement que l’on vive ces coopérations comme l’expression même de notre propre souveraineté et non comme celle d’une filiation qui, comme l’expression présidentielle de « souveraineté européenne », ne repose que sur du sable. Il n’y a ni mère ni fille, ni père ni fils, mais des Etats souverains disposant d’un pouvoir plus ou un grand et d’une histoire plus ou moins longue. La souveraineté n’est pas la croyance mégalomane que l’on peut faire ce que l’on veut, mais un choix premier d’où découle toute l’action politique. 

    Alexis Feertchak (Geopragma, 1er mars 2021)

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  • Les marches des empires sous haute tension...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alexis Feertchak, cueilli sur Geopragma et consacré à la multiplication des frictions entre puissances régionales au Levant . Alexis Feertchak est journaliste au Figaro et membre fondateur de Geopragma.

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    Les marches des empires sous haute tension

    Et de trois. Les drones turcs qui officiaient déjà en Syrie et en Libye survolent désormais le Haut-Karabakh, cette zone montagneuse où les Arméniens affrontent les Azéris soutenus par Ankara non seulement dans les airs, mais également au sol. Les supplétifs syriens à la solde de la Turquie, qui combattaient d’abord les Kurdes, ont migré vers la Tripolitaine libyenne puis aujourd’hui vers le Caucase, troisième front militaire pour le régime nationaliste de Recep Erdogan.

    Dans les mêmes régions, la Russie pèse également de tout son poids, quoique plus discrètement qu’Ankara. En Syrie très officiellement pour soutenir coûte que coûte le gouvernement de Damas. En Libye, où elle appuie sans le dire le régime du maréchal Haftar, sis en Cyrénaïque. Moscou est également une alliée historique de l’Arménie, quoi qu’elle maintienne aussi des relations de bon voisinage avec l’Azerbaïdjan, ancienne république d’URSS. Nous saurons certainement dans les prochains jours quelle attitude le plus grand pays orthodoxe adoptera dans le conflit du Haut-Karabakh. Une chose est sûre, la Russie et la Turquie ont montré en Syrie et en Libye qu’elles savaient s’entendre, nouant une étrange relation mêlant compétition et coopération, ce que le management nomme parfois “coopétition”. Pour la Syrie en tout cas, une autre grande puissance régionale est de la partie : l’Iran. La République islamique a su depuis longtemps maintenir des relations relativement cordiales avec la Turquie, tout en projetant ses ambitions géopolitiques le long de l’« arc chiite », avec, dans le cas syrien, l’appui russe, là aussi mêlé de rivalité.

    Trois puissances régionales (dans le cas de Moscou également mondiale, vestige atomique de la Guerre froide) ; trois anciens empires. Ils se jaugent, rivalisent tout le temps, s’affrontent parfois, rarement directement, coopèrent souvent. Les points de friction qui deviennent objets de négociation se cristallisent naturellement dans leurs “marches”, le mot prenant ici un sens géopolitique. Les marches sont situées aux confins des empires et servent le plus souvent de zone tampon. Elles sont métissées et mélangées, ethniquement et religieusement. Leur identité est multiple, selon que l’on appartient à telle ou telle communauté, l’ensemble formant une mosaïque insaisissable. Pour un Européen de l’ouest, habitué à l’Etat-nation et à des frontières qui délimitent distinctement un dedans et un dehors, la notion de marche apparaît mystérieuse. Elles sont pourtant une réalité historique, souvent tragique, que l’on ne peut écarter d’un revers de la main. L’Arménie est un cas intéressant : elle est pour le coup un Etat-nation, mais est en même temps une marche aux confins des trois empires turc, russe et iranien. L’enclave arménienne du Haut-Karabakh en est la manifestation la plus criante.

    Ces marches sont aujourd’hui sous haute tension au Levant. Les Etats-Unis se retirant progressivement du Moyen-Orient, les trois anciens empires se repositionnent derechef pour définir ensemble, mais au mieux de leurs intérêts, de nouveaux équilibres régionaux. Depuis 2015, la Russie tente de jouer les arbitres musclés, mais ouverts aux négociations. L’Iran, lui, joue un jeu plus solitaire pour consolider l’axe qui le mène à la Méditerranée. Quant à la Turquie, elle apparaît aujourd’hui comme l’acteur le plus véhément et le plus offensif de cette triade.

    Les actions géopolitiques de ces trois vieux empires sont le signe de la nouvelle multipolarité de notre monde. Des puissances moyennes déroulent leur propre agenda sur les ruines d’un monde bipolaire qui a vécu. L’Asie n’est pas en reste. Aux confins de la Chine, du Pakistan et de l’Inde, la tension militaire est à son comble dans la région disputée du Cachemire, autre mosaïque de populations au sang mêlé, où les armes résonnent de plus en plus, depuis des mois. Sans parler d’une autre marche chinoise, le Xinjiang, peuplé de Ouïghours contre lesquels Pékin exerce une emprise de plus en plus puissante.

    Etonnant paradoxe : en Europe, on ne cesse de vanter la diversité, les mosaïques, les mélanges, le métissage, mais le discours dominant ne sait comment penser ces “marches” géopolitiques, symboles d’une histoire longue et tragique qui n’entre pas dans les cases trop binaires du “droit-de-l’hommisme” ou du “néo-conservatisme”. Le vieux continent, du reste, n’échappe pas à ce phénomène des marches sous tension. Que l’on pense à l’Ukraine et, aujourd’hui, à la Biélorussie. Le schéma de pensée que l’on calque sur ces deux pays est de deux ordres. D’un côté, le logiciel de la Guerre froide : il faudrait absolument que l’Ukraine devenue pro-européenne entrât dans l’OTAN pour endiguer la Russie. En 2014, certains intellectuels et politiques, qui, comme Cassandre n’ont pas été écoutés, ont senti le danger immense de jouer sur cette corde sensible qui ne ferait qu’augmenter la douleur des Ukrainiens. “Ukraine”, en russe, signifie justement “marche”. Le nom même d’Ukraine aurait dû nous mettre en garde : jouer ce pays contre la Russie était incroyablement dangereux. L’histoire de ces cinq dernières années n’a fait qu’augmenter le syndrome d’encerclement russe. La seule solution sage aurait consisté à faire du rapprochement – heureux ! – de l’Ukraine avec l’Europe un pont vers la Russie. Encore aurait-il fallu, pour cela, que l’Europe eusse été indépendante des Etats-Unis, qui se refusent d’en finir avec la Guerre froide. En l’occurrence, le maintien d’une logique bipolaire dans les relations Est/Ouest attisent la tension qui existe dans les anciennes marches de l’empire russe. L’autre lecture dangereuse est celle de l’opposition démocratie contre dictature. Car si la Biélorussie est bien une dictature et que l’on ne peut que souhaiter qu’elle ne le soit plus à l’avenir, elle n’est pas qu’un régime politique, mais aussi un pays complexe, composite, indissociablement lié à la Russie par son histoire. Heureusement, jusqu’à présent, les Européens ont fait preuve de davantage de prudence qu’en Ukraine. L’avenir dira ce qu’il adviendra du régime dictatorial de Loukachenko. Mais une chose est sûre : la Biélorussie ne devra jamais servir de bouclier contre la Russie. Transformer une marche en un mur est un risque que l’on ne peut se permettre de prendre.

    Cette leçon devra aussi servir pour l’avenir, alors que le couple formé par les Etats-Unis et la Chine fait peser sur le monde le risque d’une nouvelle bipolarité à l’échelle internationale, laquelle ne sera pas forcément contradictoire avec une multipolarité à des échelles plus régionales. Samuel Huntington a trop souvent été mal lu : le concepteur américain du “choc des civilisations” n’était pas partisan de l’ingérence militaire, bien au contraire d’une forme d’isolationnisme assez particulière. Selon lui, les Etats-Unis ne devaient pas intervenir partout mais s’appuyer sur les grandes puissances régionales pour trouver un équilibre global qui soit le moins mauvais possible. Un projet qui, malheureusement, n’a pas été suivi. Il devrait pourtant l’être, me semble-t-il. Aujourd’hui, pour le bien des Arméniens comme des Azéris, et plus globalement pour le bien de toutes les minorités du Moyen-Orient qui vivent dans les “marches” des vieux empires, l’Europe devrait encourager vivement mais fermement la formation d’un nouvel équilibre, le moins précaire possible, entre la Russie, la Turquie et l’Iran. Mais il nous faudra pour cela abandonner notre vieille Guerre froide avec la Russie, en finir avec nos rêves d’une Turquie européenne qui existerait à notre image et arrêter de voir l’Iran comme un pays dont l’histoire aurait commencé en 1979. Bref, assumer un monde multiple, divers et fragile, à l’image de ses marches qui souffrent dans leur chair.

    Alexis Feertchak (Geopragma, 5 octobre 2020)

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  • A propos des armes hypersoniques...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alexis Feertchak, cueilli sur Geopragma et consacré aux armes hypersoniques développées par les grandes puissances. Alexis Feertchak est journaliste au Figaro et membre fondateur de Geopragma.

     

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    « Hypersonique », le dernier mot à la mode pour se faire peur

    Pour peser dans un dîner de chefs d’Etat, il est de bon ton de pouvoir dire que l’on possède des armes hypersoniques. Il y a deux ou trois ans, la mode était plutôt de mettre en avant son impénétrable bulle de protection A2/AD ( Anti Access Area Denial ). Mais, dans une dialectique bien connue des historiens militaires, c’est désormais l’épée qui a repris l’ascendant sur le bouclier. Avec son vocabulaire enfantin un peu simplet, Donald Trump a ainsi annoncé le développement de missiles hypersoniques « gros, puissants, mortels et rapides », histoire de pouvoir répondre virilement aux récents progrès des Russes et des Chinois en la matière.

    L’hypersonique, pourtant, n’est pas une nouveauté en soi. On assiste plutôt à la création d’un mot-valise qui, par son côté spectaculaire, répond aux impératifs politiques du moment dans un contexte de retour de la rivalité stratégique. Si une vitesse « supersonique » correspond à un phénomène bien réel, celui du franchissement de la vitesse du son (Mach 1 ou 1 235 km/h), rien de tel pour une vitesse « hypersonique ». Celle-ci fait partie du champ « supersonique » et, à l’intérieur de celui-ci, ne correspond à aucun phénomène physique particulier, même si les conditions de vol sont de plus en plus difficiles au fur et à mesure que la vitesse s’accroît. L’hypersonique correspond en réalité à une convention fixée à cinq fois la vitesse du son (Mach 5 ou 6 174 km/h). Cette frontière, aussi impressionnante qu’elle puisse paraître, n’a rien d’infranchissable, et ce depuis longtemps.

    Un missile balistique atteint durant sa course une vitesse maximale souvent très au-delà de la limite de l’hypersonique. C’est en particulier le cas des missiles balistiques intercontinentaux (ICBM en anglais). Mis en œuvre depuis 1985, disposant d’une portée de 11 000 km, un Topol russe (SS-25 en langage OTAN) atteint une vitesse de Mach 21, soit plus de 25 000 km/h, ou 7 km par… seconde, lors de sa phase terminale. Le Minuteman américain, dont les premières versions remontent à 1962, atteint même les Mach 23. En soi, l’hypersonique n’impressionne donc personne depuis longtemps… Mais il faut voir de quoi il est question. Ces deux exemples appartiennent à la catégorie des missiles dits « balistiques » car ils dessinent une trajectoire balistique, ayant peu ou prou une forme de courbe en cloche : la phase ascendante est assurée par un propulseur de type « fusée » tandis que la phase descendante est assurée par la seule force de la gravitation (néanmoins, au moment de la rentrée dans l’atmosphère, des moteurs peuvent entrer en action pour améliorer la visée ou pour décrire des trajectoires complexes, afin d’éviter des défenses Anti-Balistic-Missile – ABM). La vitesse maximale atteinte en descente est d’autant plus forte que le missile sera monté haut en altitude (avec néanmoins un maximum au-delà duquel le missile serait « satellisé »). Un missile balistique de courte portée comme le Scud, qui atteint une altitude beaucoup plus faible et frappe moins loin (quelques centaines de kilomètres selon les versions) ira beaucoup moins vite qu’un ICBM, mais en franchissant environ 2 km/second, il atteint néanmoins déjà les Mach 5. 

    Mais, alors, pourquoi parle-t-on tant d’armes hypersoniques aujourd’hui ? C’est que les armes hypersoniques mises en avant par Moscou, Pékin ou Washington ne sont pas, sauf exceptions, de traditionnels missiles balistiques. Ce type d’arme a en effet un grand défaut : sa trajectoire balistique (d’où le nom du missile) est prévisible et peut donc être interceptée (dans la mesure du raisonnable néanmoins : un ICBM atteignant les Mach 20 ne l’est pas en l’état des technologies défensives actuelles, surtout avec le procédé du « mirvage », qui fait qu’un missile peut emporter plusieurs têtes nucléaires, qui se dispersent lors de la rentrée dans l’atmosphère). A côté des missiles balistiques proches d’une fusée dans leur conception, une autre grande catégorie de missiles est le missile de croisière, plus proche d’un avion. Volant à basse altitude (quelques dizaines à quelques centaines de mètres, à comparer avec les 800 km de l’atmosphère), il est en permanence propulsé par son moteur. La version la plus classique est le missile destiné à des frappes terrestres à longue portée comme le Tomahawk américain ou le Kalibr russe (de 1 000 à 2 500 km selon les versions). En volant à très basse altitude, le missile est difficilement détectable car il peut facilement passer sous la couverture des radars. Par ailleurs, sa signature radar est plus faible que celle d’un avion car il est de plus petite taille (1 200 kg pour un Tomahawk au lancement).

    Pour résumer, les missiles balistiques, notamment la sous-catégorie des ICBM (à partir de 5 500 km et souvent plus de 10 0000) à tête nucléaire, sont privilégiés pour acquérir des capacités de frappes stratégiques, essentielles dans le cadre de la dissuasion nucléaire. En parallèle, le missile balistique est aussi une technologie relativement « simple » et peu onéreuse, permettant à des pays disposant de peu de moyens d’acquérir une capacité de frappes régionale de plusieurs centaines de kilomètres de profondeur (les fameux Scud, appréciés pour cela par de nombreux pays, comme l’Irak dans les années 1990). A l’inverse, le missile de croisière est une arme coûteuse et complexe, idéale pour des frappes discrètes et précises. C’est aussi pour cela que l’attaque contre des installations pétrolières en Arabie Saoudite, attribuée par Washington à Téhéran, a représenté un choc au Moyen-Orient. Rares sont les pays, en dehors des traditionnelles grandes puissances, à disposer d’une telle capacité.

    Les missiles de croisière atteignent en revanche rarement des vitesses comparables à celles des missiles balistiques. La plupart du temps, ils sont subsoniques. C’est le cas du Tomahawk américain (900 km/h) ou des missiles anti-navires rasants comme l’Exocet français (quelques mètres au-dessus de la mer, 1 100 km/h) ou son équivalent américain (Harpoon) ou russe (Uran, parfois surnommé Harpoonsky).

    Que se passe-t-il alors pour que les grandes puissances soient ainsi en émoi ?

    Premier phénomène : les missiles de croisière, notamment leurs versions anti-navires, atteignent aujourd’hui des vitesses de plus en plus grandes. Depuis la Guerre froide, les Russes se sont par exemple fait une spécialité de tels missiles atteignant des vitesses supersoniques, et qui servaient de « carrier killers » (tueurs de porte-avions). Particulièrement imposants, les croiseurs soviétiques Slava et Kirov ou certains sous-marins à propulsion nucléaire comme les Oscar-II emportaient des P-500 Bazalt ou des P-700 Granit capables de voler jusqu’à Mach 2,5 sur plus de 500 km. Pour atteindre de telles performances, ces missiles prennent un peu d’altitude avant de fondre sur leur cible (leur altitude est variable, selon le résultat recherché). Des versions plus modernes de ces missiles existent aujourd’hui en Russie (l’Onyx ou la version supersonique et anti-navires du Kalibr, qui ont la particularité de pouvoir être tirés depuis des navires de très faible tonnage), mais aussi en Inde avec le projet russo-indien BrahMos. Les Chinois mettent également en œuvre des missiles similaires (YJ-18). Mais la course ne s’arrête pas là : les Russes travaillent sur des missiles de croisière qui atteignent des vitesses hypersoniques (entre Mach 5 et 8). On trouve en particulier le Zirkon tiré depuis des navires ou des sous-marins : il devrait entrer en service au milieu des années 2020, après un premier essai depuis un bâtiment de surface cette année. Les Russes ont par ailleurs d’ores-et-déjà mis en service le Kinzhal, tiré depuis des avions (des intercepteurs MiG-31, des bombardiers tactiques Tu-22M3, prochainement des bombardiers stratégiques Tu-160M voire de simple chasseurs multirôles Soukhoï). La vitesse (jusqu’à Mach 3 pour un MiG-31…) et l’altitude des lanceurs permettent au missile Kinzhal d’obtenir par entraînement une vitesse et une portée supérieures à celles d’un Tsirkon tiré depuis un navire. Les puissances occidentales, elles, n’ont pas, pour l’instant, investi ce secteur des missiles de croisière supersoniques voire hypersoniques.

    Deuxième phénomène : les Chinois ont quant à eux massivement investi le champ des missiles balistiques, délaissés par Washington et Moscou en raison du traité INF qui avait permis de mettre fin, en 1987, à la crise des « euromissiles ». Depuis cette date, tous les missiles terrestres d’une portée de 500 à 5 500 km étaient interdits pour les deux géants de la Guerre froide. Ils ont donc privilégié les missiles navals (non concernés par INF), qui sont (presque) toujours des missiles de croisière, laissant aux missiles balistiques de plus de 5 500 km (ICBM en version terrestre, SLBM en version sous-marine) le soin d’assurer la dissuasion nucléaire. Les Russes ont aussi gardé des missiles balistiques de courte portée (officiellement moins de 500 km) comme les Iskander (la subtilité étant que ce système peut tirer à la fois des missiles balistiques et des missiles de croisière), dont la version modernisée “M” est accusée par Washington d’avoir une portée supérieure à cette limite fixée par le traité INF, ce qui a justifié en 2018 la sortie unilatérale des Etats-Unis de ce texte, aujourd’hui caduque. Mais la principale raison était tout autre : les Américains ne veulent plus avoir les mains liées alors que les Chinois, non partie au traité, ont massivement investi le champ des missiles balistiques de portée intermédiaire, qu’ils soient destinés à des frappes terrestres ou à des frappes anti-navires, une spécificité pour l’instant chinoise. Pékin dispose ainsi théoriquement de la possibilité de frapper des porte-avions américains à 4 000 km de distance grâce à leurs DF-26, ce qui n’est pas loin d’être un cauchemar pour Washington.   

    Troisième phénomène : Américains, Russes, Chinois, mais aussi Britanniques et Français investissent le champ des « planeurs » hypersoniques et hypermanœuvrants (Hypersonic Boost-Glide Vehicule en anglais). Ces engins, très spécifiques dans leur principe, sont d’abord propulsés par un traditionnel missile balistique (ou par une fusée), puis sont capables de planer, grâce à un principe de portance, sur les couches hautes de l’atmosphère, pouvant ainsi dessiner des trajectoires beaucoup plus complexes qu’un missile balistique traditionnel. L’intuition du planeur hypersonique remonte à la Seconde Guerre mondiale lorsque Eugen Sänger et Irene Sänger-Bredt conçoivent le projet allemand de Silbervogel (oiseau d’argent), qui devait permettre d’atteindre l’Amérique en faisant des sortes de « bonds » sur la stratosphère. Lors de leur grande parade pour le 70e anniversaire de la République populaire, les Chinois ont révélé leur planeur hypersonique, le DF-ZF, dédié à des frappes conventionnelles de portée intermédiaire (entre 500 et 5 500 km) et qui devrait être (voire a déjà été) mis en service cette année sous le nom DF-17. Les Russes ont quant à eux mis en service en décembre leur planeur hypersonique Avangard tiré depuis un ICBM, et décrit par Vladimir Poutine comme une « arme absolue », qui frappe « comme une météorite, une boule de feu ». Les Etats-Unis avaient lancé au début des années 2000 leur vaste projet de Prompt Global Strike (avec l’objectif de pouvoir frapper conventionnellement n’importe quel point de la planète en une heure) et expérimentent depuis plusieurs années des planeurs hypersoniques, avec par exemple le X-51 ou le HTV-2 (premiers vols en 2010). Ils semblent néanmoins avoir perdu aujourd’hui l’avance qu’ils possédaient, même si le Pentagone a récemment lancé des projets tous azimuts. Le site internet de Lookheed Martin présente ainsi plusieurs « planeurs » pour l’armée de l’air (ARRW pour Air-Launched Rapid Response Weapon) ou l’armée de terre (de portée intermédiaire avec l’IRCPS pour Intermediate Range Conventional Prompt Strike et de longue portée avec le LRHW pour Long-Range Hypersonic Weapon). Le Royaume-Uni et la France ont aussi lancé leur projet de « planeur hypersonique », Paris souhaitant faire voler un premier démonstrateur de son V-MAX en 2021, pour une mise en service vers 2025. Cette nouvelle catégorie d’armements, qui devrait faire partie des arsenaux d’une poignée de pays d’ici 2030, représente une sorte de garantie pour quiconque voudrait franchir n’importe quelle défense ennemie, ceci étant vrai autant pour des frappes conventionnelles que nucléaires.  

    C’est sous ces trois angles que l’« hypersonique » est à la mode. Cette course aux armements (plus qualitative que quantitative) participe à affaiblir fortement le contrôle des armements, les grandes catégories conceptuelles qui structurent les traités étant fortement fragilisées. Où, en effet, situer ces planeurs hypersoniques dans les arsenaux stratégiques réglementés par le traité russo-américain New Start qui arrive à expiration en 2021, et que Donald Trump souhaite visiblement ne pas renouveler ? Comment, désormais, pour un pays attaqué savoir distinguer avec suffisamment de clarté une frappe nucléaire stratégique d’une frappe conventionnelle à longue portée ? Comment tenir compte du nouvel intérêt des acteurs militaires pour les portées intermédiaires, qui permettent à certains Etats (comme la Chine) d’augmenter leurs capacités de déni d’accès ? L’instabilité augmentait déjà structurellement du fait que le jeu qui se jouait auparavant à deux (Washington et Moscou) se joue désormais à trois (avec Pékin en plus), alors que les traités de la Guerre froide ne prévoient pas cette extension. Mais on voit émerger ici une cause supplémentaire d’instabilité, que les politiques résument en cette notion d’« hypersonique », non sans quelque confusion sur l’étendue exacte du terme, mais avec l’intuition générale que cette accélération des armes et de leurs vecteurs va bousculer l’équilibre précaire né de la fin de la Guerre froide.

    Alexis Feertchak (Geopragma, 17 février 2020)

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  • Téhéran, Pyongyang et Washington ou le cercle vicieux nucléaire...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alexis Feertchak cueilli sur Geopragma et consacré au cercle vicieux du jeu nucléaire entre les États-Unis, Corée et l'Iran. Membre de Geopragma, Alexis Feertchak est journaliste au Figaro.

     

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    Téhéran, Pyongyang et Washington ou le cercle vicieux nucléaire

    Quand Kim Jong-un regarde crânement Donald Trump dans la DMZ (zone démilitarisée), on ne peut que penser à la potion magique des irrésistibles Gaulois narguant les camps romains d’Aquarium, de Babaorum, de Laudanum et de Petibonum. Point de morale ici : il n’est pas question de comparer les grandes parades de la dernière société stalinienne avec les chaleureux banquets d’un petit village d’Armorique, mais bien de comprendre ce que le franchissement du seuil nucléaire représente pour un minuscule Etat qui ose défier la première des puissances. Quand le commander in chief des Etats-Unis d’Amérique, à la tête d’une armée dont le budget est plus de 16 fois supérieur au PIB nord-coréen, s’avance sur la ligne de front pour serrer la petite main de «Chairman Kim», il consacre par son geste la puissance égalisatrice de l’atome.

    Il y a là un dilemme tragique en matière nucléaire et l’on a tort d’expliquer l’actuelle impasse par le seul caractère volcanique voire outrancier du président américain. Quoi qu’il fasse, Donald Trump, en allant négocier une dénucléarisation avec Kim Jong-un, démontre à ce dernier qu’il avait raison de nucléariser puisque son statut diplomatique – avant et après – a changé, non pas du simple au double, mais au centuple. Cela n’a pas de prix. En toute logique, il ne dénucléarisera donc pas. Mais Donald Trump pouvait-il ne pas commencer par acter ce changement de statut diplomatique de Kim et lui refuser cet effet de levier nucléaire dans le cadre des négociations de dénucléarisation ? Faire l’inverse serait revenu tout simplement à nier le réel – la Corée du Nord est une puissance nucléaire – au risque que Pyongyang poursuive l’escalade dans l’espoir que Donald Trump finisse enfin par admettre l’effet de la potion magique. La seule alternative, au fond, aurait été de faire l’autruche et d’attendre, mais cela aurait-il été réellement une solution viable ?

    Personne ne croit à une dénucléarisation de Pyongyang. Pourquoi Kim abandonnerait-il cela même qui lui permet de discuter d’égal à égal avec le président américain ? Et puis, on ne désinvente pas l’atome. Même si un Etat nucléaire abandonnait ses arsenaux nucléaires voire ses capacités industrielles afférentes, il pourrait toujours, en quelques mois, les retrouver. Une puissance nucléaire qui aurait dénucléarisé resterait donc prise à l’intérieur de la logique de la dissuasion nucléaire dont on ne pourrait sortir, même si toutes les armes atomiques de la planète étaient détruites. C’est en quelque sorte un club que l’on ne peut pas quitter (à de rares exceptions près1). La marge de manœuvre de Donald Trump est donc des plus étroites : il peut difficilement obtenir autre chose qu’un report sine die des essais nucléaires et des tirs de missiles intercontinentaux, auquel viendrait s’ajouter le démantèlement d’installations nucléaires nord-coréennes particulièrement symboliques mais non vitales pour Pyongyang, histoire de sauver la face de la Maison-Blanche. Autrement dit, Donald Trump ne négocie pas une dénucléarisation de la Corée du Nord, mais les conditions de sa nucléarisation, qui devra être la plus limitée et surtout la plus discrète possible.

    Téhéran observe ce manège et sait bien que la Corée du Nord ne dénucléarisera pas. Les Mollah voit aussi la façon dont Donald Trump a accordé à Kim Jong-un, naguère premier paria de la planète, un statut international désormais ancré. C’est d’ailleurs le grand risque que font courir, par ricochet, les négociations entre Washington et Pyongyang au dossier iranien. Que face à l’implosion de l’accord international de 2015, la République islamique en arrive à une conclusion assez évidente : il est dans son intérêt de relancer son programme nucléaire avant d’envisager la moindre négociation avec Washington. Le souvenir de Saddam Hussein et de Mouammar Kadhafi (qui avaient accepté tous deux de démanteler leurs programmes d’armes chimiques avant de finir renversés) est également frais dans les mémoires (les Iraniens se souviennent par ailleurs très bien des attaques chimiques irakiennes…).

    L’Iran pourrait décider, avec prudence, d’attendre 2020 une éventuelle réélection de Donald Trump à la Maison-Blanche pour se lancer dans une nouvelle aventure nucléaire. Après tout, si le Républicain est battu, les démocrates chercheront peut-être à revenir à l’esprit du JCPOA. Mais pour combien de temps ? C’est toute la difficulté de penser le temps géopolitique. Beaucoup de dirigeants non-occidentaux de la planète peuvent se permettre de raisonner à dix, quinze, vingt voire trente ans. Leurs homologues des démocraties libérales restent quatre ou cinq ans aux affaires, dix ans grand maximum. Même si les démocrates l’emportaient l’année prochaine et que les Iraniens voyaient renaître l’accord honni par Trump, le précédent nord-coréen resterait à jamais dans les esprits : face aux Etats-Unis, on négocie mieux seul avec la bombe qu’en groupe sans la bombe (même avec les autres grandes puissances de la planète comme parrains).

    Depuis 1968 et la signature de TNP, quatre pays se sont dotés illégalement de la bombe : Israël, l’Inde, le Pakistan, la Corée du Nord. Si l’Iran s’ajoutait à cette liste, l’Arabie Saoudite suivrait immédiatement (sans compter en Asie la possibilité d’une nucléarisation de la Corée du Sud et du Japon). Dans un tel scénario, il y aurait davantage d’Etat illégalement dotés (au moins 6) que légalement dotés (5). Le TNP trépasserait définitivement, ouvrant la voie à d’autres candidatures atomiques, ce qui déclencherait une dangereuse prolifération horizontale (fonction du nombre de sujets nucléaires et non de la quantité d’armes), qui avait été contenue – certes difficilement – depuis plus de cinquante ans.

    Il est impossible d’ôter à la bombe sa puissance politique égalisatrice (et ce même si on n’est pas certain de la réalité de cette puissance égalisatrice, de même que de la viabilité de la dissuasion, mais dans le doute…). La seule chose qui est possible, dès lors, est d’agir sur « la demande » en faisant en sorte que les Etats qui pourraient tenter le grand saut estiment d’eux-mêmes qu’ils n’ont finalement pas besoin de rejoindre le club des puissances nucléaires. A cet égard, l’unilatéralisme des Etats-Unis (en attendant celui de la Chine, mais l’heure n’est pas encore venue) est la première menace qui pèse sur le monde en matière de prolifération car c’est pour échapper à l’hégémonie américaine que des Etats non-occidentaux pourraient être tentés de suivre le chemin de Pyongyang. Pour la Corée du Nord, il est désormais trop tard. Pour qu’il n’en soit pas de même pour Téhéran, il est urgent que les Européens s’en prennent frontalement aux Etats-Unis, quitte à passer par Moscou et Pékin pour assurer leurs arrières sur le dossier iranien. Les Mollah vont certainement jouer la montre en attendant l’élection américaine de 2020 mais un accident est vite arrivé. Et, dans tous les cas, que feront les chancelleries du vieux continent si Donald Trump est réélu ? Le président américain a certaines vertus qu’on oublie trop souvent de lui attribuer (à commencer par celle de se méfier de l’interventionnisme néoconservateur), mais il y a dans son ADN politique un vice terrible qui est ancré dans l’inconscient collectif d’une partie de l’Amérique : pour les Etats-Unis, l’Iran serait depuis 1979 le Grand Satan à abattre. Plus que toutes les outrances verbales du président américain, ce problème iranien est le principal danger qui réside à la Maison-Blanche.

    Alexis Feertchak (Geopragma, 1er juillet 2019)

    Notes :

    1. L’Afrique du Sud a officiellement renoncé à l’arme nucléaire après des sanctions internationales qui ont été efficaces, preuve que celles-ci fonctionnement mieux lorsqu’elles visent des alliés que des adversaires ou des ennemis. Sinon, de facto, l’Ukraine, la Biélorussie et le Kazakhstan, en tant qu’anciennes républiques soviétiques, sont d’anciennes puissances nucléaires.

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